La razón, que sólo sabe de este mundo, nos distrae del otro, que no es sino Éste.
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Couverture: peinture à l’uile de l’ uteur.
Avant de demander au lecteur de m’accompagner dans ce voyage, j’aimerais me présenter un peu, de sorte qu’il me paraît intéressant d’expliquer pourquoi j’écris. C’est la première chose qui me vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de m’ouvrir au lecteur, de l’approcher et de lui rappeler qui nous sommes des membres de l’équipage d’un même bateau qui parcourt cette époque que nous vivons. Des coordonnées temporelles et spatiales infinies ont convergé pour qu’il en soit ainsi, une raison plus que suffisante pour lui parler en toute sincérité.
À une autre époque historique, j’aurais pris mon temps, j’aurais surement attendu mes dernières années pour terminer cet ouvrage, ce qui m’aurait permis d’y ajouter ce que la vieillesse peut enseigner; mais le temps presse.
J’aurais préféré continuer ma vie en paix, sans les habituelles préoccupations qui agitent les hommes, perdu dans les montagnes ou en mer, en train de contempler ou de découvrir de beaux endroits, ou me nourrissant de l’art et de la connaissance des plus sages. Mais pas un jour ne se passe sans que j’écoute frapper à la porte. Je ne sais pas qui m’appelle, si c’est un instinct ou une intuition, le destin ou une révélation, ou simplement une préoccupation ; ce qui est certain c’est que l’avenir de l’humanité est en jeu et quelque chose ou quelqu’un m’exhorte à agir.
Ce n’est pas que je prétende arrêter par mon action l’immense machinerie de l’industrialisation, qui rappelle, par diverses similitudes, celle imaginée par E. Zola dans La Bête Humaine, mais je ne peux pas la voir tourner ainsi, sans destin, sans rien faire1.
N’étant pas un intellectuel par nature, écrire me demande un effort double et le triple de temps, que, je le confesse, je regarde parfois avec nostalgie, en pensant aux nombreuses expériences de vie que j’ai laissées dans le sac des possibilités infinies de la vie. Ce n’est pas faute de mieux (en français dans le texte) que j’écris, cela je peux l’assurer au lecteur. À proprement parler n’importe quelle activité est mieux d’un point de vue personnel, que d’écrire de la philosophie à une époque où les valeurs sont sens dessus dessous ; c’est la façon la plus sûre de s’assurer pauvreté et dédain, si ce n’est la rancœur de ceux-là même que l’on veut aider. Ce sont d’autres raisons, qui transcendent ma personne, qui me poussent à écrire. Sauf, peut-être, le fait qu’il me soit intolérable d’observer le désordre esthétique et le chaos moral dans lesquels se développe notre culture.
Je souhaiterais par la même occasion, relater au lecteur des événements qui ont été à l’origine de la préoccupation qui n’a cessé de grandir en moi depuis lors, et qui sont l’une des raisons qui m’ont poussé à écrire.
Cela fait déjà plus d’un quart de siècle que j’ai eu la chance de réaliser un rêve : celui de visiter les îles du Pacifique Sud en voilier. Il est possible que ce soit là un rêve commun aux humains de notre culture. Peut-être parce que l’idée d’un bateau aux voiles déployées dans le grand océan est reliée à un sentiment de liberté ; tout comme les îles du pacifique sont reliées d’une certaine manière à l’idée de paradis.
Nous ne nous arrêterons pas sur ce point pour vérifier s’il existe objectivement un endroit appelé paradis, cette vérification serait puérile et étrangère au but auquel je prétends, mais nous ne pouvons nier qu’un tel endroit, en tant qu’idéal de perfection, ainsi que le désir de liberté, ont été présent dans l’esprit de l’homme depuis la nuit des temps, qu’il s’agit d’une réalité humaine et historique, car ce n’est pas resté dans un monde d’idées séparées de la réalité concrète, mais, comme toute réalité psychique, cet idéal et ce désir se manifestent, se concrétisent d’une façon ou d’une autre. En effet, l’être humain s’obstine à recréer consciemment ou non, l’idée de paradis. Les châteaux, parcs et jardins en sont, d’une certaine façon, des images, des expressions ou des imitations.
Il y a des périodes dans l’histoire où les esprits semblent plus élevés, car ils ont une plus grande facilité à imaginer, représenter et réaliser les délices de l’Elysée, et d’autres périodes, plus plates, durant lesquelles la réalité se fait plus brumeuse, les esprits manquent de cette élévation et se tournent vers une autre idée qui a aussi été une constante chez l’être humain : celle de l’enfer.
Au cours de ce voyage, j’ai eu la chance de trouver un paradis, non pas créé par l’homme, mais pas la nature elle-même, qu’elle a construit par un travail incessant durant des centaines de milliers d’années, avec un goût exquis des anneaux de coraux, qui, en se refermant, ont laissé en leur centre des sortes de lacs d’eaux turquoises, entourés de l’immense océan. Comme ce sont des îles très basses, avant de voir leurs palmiers, le navigateur peut percevoir de loin leur présence grâce aux nuages au-dessus d’une légère couleur turquoise qui reflètent les eaux des atolls.
Décrire la beauté de ce spectacle, suivi de l’apparition des palmiers, qui semblaient plantés dans l’eau, ainsi que l’expérience d’entrer dans ces lacs de coraux par l’une des minuscules ouvertures de l’anneau, serait une prétention inutile. Les eaux ici n’ont pas de couleurs, elles semblent bleues par leur magnitude, tout comme le ciel, mais elles sont simplement transparentes, ce grâce à quoi on peut voir des poissons de toutes les couleurs et formes inimaginables qui passent en caravanes de différentes espèces. On aperçoit sans difficulté au fond des tâches sombres, ce sont des coquillages marins dont la nacre iridescente contient parfois un trésor : des perles. Les natifs de ces îles étaient heureux, gentils et généreux.
À certaines époques, disais-je, l’homme aspire à la réalisation d’idéaux élevés, à d’autres époques, par ignorance, il se tourne dans la direction opposée. Dans ce cas, cependant, il ressent le besoin de justifier son action négative par des arguments positifs, comme par exemple, le fait que son penchant est tourné vers le bien, le progrès, la démocratie, etc. Mais lorsque la raison confond le beau avec le laid, le bien avec le mal, bref, le paradis avec l’enfer, c’est qu’il existe un grave déséquilibre mental, et lorsque les arguments employés par cette raison finissent par convaincre une société, nous nous retrouvons face à une folie collective. Il convient de noter que la condition du fou est d’ignorer sa folie. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas à un individu ou à une société de se croire sains d’esprit pour l’être. J’entends par là que toute une société peut souffrir d’un sérieux déséquilibre mental et peut ne pas en être conscient.
Quelques semaines à peine après avoir quitté ce paradis d’êtres heureux plongeants pour la nacre dans des eaux turquoises, nous sommes arrivés sur une île déjà envahie par le progrès matériel. A Tahiti plus exactement. Le port abritait toute une flotte moderne. Ce n’était pas là des coquillages iridescents qui brillaient, mais des canons, des missiles, des radars, etc. sur les énormes navires. Cette flotte était là pour réaliser une expérience : une explosion nucléaire dans les atolls que je venais de visiter. Le remplacement de ces îles de rêve par une boule de feu, de cette merveilleuse faune marine par des monstres qui pouvaient rivaliser avec l’imagination de Bosch, … bref, je crois que le contraste entre paradis et enfer sera évident pour toute personne équilibrée.
J’ai tiré, de l’immense douleur et de l’indescriptible sentiment que m’a laissés cette expérience, une conclusion : l’homme (lorsqu’il n’est pas aliéné), est un être naturellement et spirituellement relié à son milieu, la planète Terre. C’est la première raison qui m’a poussée à écrire.
Ce n’est pas tout. L’être humain, comme l’aura remarqué le lecteur dans ses amitiés, ressent le besoin de partager son savoir ou son avis, et il le fait de façon si spontanée que cela lui parait « naturel ». Mais la question n’est pas si simple. Si l’on observe de plus près, nous verrons que nous sommes prisonniers d’une étrange compulsion à dire ce que nous pensons, même si nous savons invariablement que nous ne changerons rien en parlant de sujets politiques ou sociaux.
Lorsque nous exposons notre avis à des tiers, nous voulons étendre notre pensée, mais ce d’une curieuse manière. C’est plutôt comme si nous prétendions « semer » ou « inséminer » notre esprit dans l’espoir latent qu’il finisse par « germer » éventuellement chez notre prochain. Sans but précis, nous semons dans presque toutes les oreilles dès qu’elles nous semblent réceptives, comme si c’était une condition suffisante pour être fertile, même en sachant intimement que nous travaillons sur un terrain stérile. Nous sommes donc en proie à une sorte d’instinct qui nous pousse à nous projeter sur nos semblables, comme s’ils étaient une extension de nous-mêmes, comme s’ils faisaient partie de notre famille et nous avons besoin, comme avec cette dernière, de maintenir un certain contact. Mais cette connexion ne s’explique pas seulement de manière biologique, car notre nature corporelle ne nous oblige pas entièrement à la maintenir.
Nietzsche, solitaire invétéré, disait que lorsqu’Aristote soutenait que « l’homme est par nature un animal politique ou social », il avait oublié le philosophe, en faisant référence à lui, qui était totalement asociale. Mais Nietzsche lui-même n’a jamais cessé de penser et d’écrire pour les autres. Dans mon cas, j’ai vécu isolé la majeure partie de ma vie, car je considérais cela vital pour le bon développement de mon esprit, mais il n’a jamais été pour autant détaché de mes semblables même lorsqu’une montagne ou une mer me séparaient du premier être humain.
Je veux dire qu’il existe une autre façon d’être social que celle envisagée par Aristote, ceux qui, sans avoir de vie sociale, entretiennent des relations d’une certaine façon avec la société et y prennent part. Ainsi, tous les êtres humains, y compris « les quelques savants de ce monde » qui choisissent une « vie retirée » comme Fray Luis de León lui-même, écrivent ou maintiennent des relations sporadiques avec les personnes les plus proches ou épistolaires avec les plus lointaines, ou du moins, ils « prêchent » par l’exemple.
Et bien qu’il soit difficile pour Aristote d’accepter cette façon d’être social, il dit à juste titre : « C’est une propriété propre à l’homme, qui le distingue des autres animaux, que d’être l’unique à percevoir le bien et le mal, le juste et l’injuste et les autres qualités morales, et c’est la communauté et la participation dans ces affaires qui fait […] une cité-état » (Politique 1253 a). Étant donné que le bien et le mal, et les autres qualités morales sont des questions qui concernent particulièrement le philosophe, même s’il ne vit pas au sein de la communauté, il participe à la vie sociale de par son apport sur la question et de par d’autres connaissances, si décisives pour le bon développement de la communauté et de l’espèce. Nous voyons ici aussi, qu’il existe un lien qui transcende notre nature animale, qui nous relie de façon plus intime et puissante. De sorte que je crois que l’affirmation d’Aristote serait à reformuler ainsi : l’homme, qu’il soit social ou non, est un être naturellement et spirituellement relié à ses semblables. C’est la seconde raison pour laquelle j’écris.
Après de nombreuses années de recherche et de nouvelles expériences qui ont élargies cette vision, j’ai trouvé une troisième raison qui me pousse à écrire. Celle-ci implique les deux autres, mais pour être comprise, il faut suivre le chemin que je propose ci-dessous. Le lecteur qui m’accompagnera se rendra compte qu’une fois que l’on en a pris conscience, on sent le devoir de contribuer à l’Ordre.
Ranch Kuan (La contemplation), au pied des Andes, Mendoza, Argentina, 2000. J. O. L.
Prologue
Préface
1. L’origine de l’homo sapiens
2. La conformation de la psyché
3. Origine des facultés unitives
4. La psyché et son évolution
5. Le complexe originel
6. Le conflit originel
7. Liberté et bonheur
1. LA CONNAISSANCE
2. Théorie et connaissance de la psyché
3. Le plan naturel de l’entendement
4. Connaissance unitive
5. Connaissance unitive et accumulative
6. Intuition du changeant et du permanent
7. La vision des choses en soi
I 1. LA CONSCIENCE UNIVERSELLE
2. Conscience individuelle et universelle
3. Aliénation de la Conscience Cosmique
4. Dualisme et monisme
II 1. ESPRIT ET MATIÈRE
2. Temps et espace
3. Origine de la matière
4. L’expérience du Transcendant
III 1. COSMOLOGIE
2. Instinct et manifestations premières
3. Cosmologie dogmatique
4. Deux forces dans le cycle de la Vie
5. Expansion et unification
IV 1. LA VIE ICI ET LA-BAS
2. La vie dans sa totalité
V EVOLUTION
1. L’évolution du point de vue des scientifiques
2. L’évolution spirituelle
3. Stades de l’homme
VI LA SITUATION ACTUELLE
1. Icare ou le futur des sciences
2. Evolution spirituelle et technologie
3. Globalisation
4. Deep ecology
5. Surpopulation
6. Sur adaptation
7. Perception esthétique et morale
VII CONCLUSION
1. Pourquoi l’homme reste dans l’ignorance
2. Intégration totale
3. Instinct de perfection ou de destin
4. En route vers notre destin